Anis Amri et le jihadisme en Italie

Libération, 24 décembre 2016
ATTENTAT DE BERLIN

Le terroriste abattu à Milan, une ombre plane sur l’Italie

Par Eric Jozsef, Rome, de notre correspondant 23 décembre 2016 à 20:36

Les dernières heures d’Anis Amri sèment le trouble dans un pays qui n’a jamais connu d’attentat islamiste sur son sol.

  • Le terroriste abattu à Milan, une ombre plane sur l’Italie

C’est par l’Italie qu’Anis Amri était entré en Europe en 2011, à bord d’une embarcation en provenance de Tunisie. C’est en Italie qu’il a cherché refuge et trouvé la mort trois jours après l’attentat sur le marché de Noël de Berlin. Depuis hier matin, les enquêteurs transalpins évitent de fournir trop de détails sur la fuite du jihadiste, pour tenter de remonter une éventuelle filière et comprendre pourquoi il est revenu dans la péninsule, pour savoir s’il s’apprêtait à y commettre d’autres attentats ou s’il comptait bénéficier de complicités dans sa cavale.

Jusqu’à présent, l’Italie a été épargnée par les actions terroristes islamistes. Mais depuis des années, la péninsule est en ligne de mire. En octobre 2005, un photomontage montrant le drapeau noir de l’Etat islamique (EI) hissé au sommet de la basilique Saint-Pierre a d’ailleurs été publié par Dabiq, la revue de propagande de l’organisation, diffusée sur le Web. Et plus de 110 personnes sont parties pour la Syrie ou l’Irak depuis l’Italie. Au cours des quinze dernières années, près de 200 islamistes radicaux ont été expulsés, notamment depuis le nord-est du pays. L’un des derniers en date : le prédicateur macédonien Ajahn Veapi, qui recrutait des combattants pour le «califat». Il a été arrêté à Mestre (Vénétie) alors qu’il s’apprêtait à se rendre en Allemagne.

Carrefour.Mais c’est à Milan que depuis les années 90 se sont formées des bases pour les fondamentalistes radicaux tunisiens, notamment autour de la mosquée de la rue Jenner, véritable carrefour pour les combattants qui allaient ou se rendaient en Afghanistan, en Bosnie et en Irak. «En 2000, nous avons mené une grosse opération qui a permis d’éviter un attentat à Strasbourg, affirme à Libération le parlementaire Stefano Dambruoso, ancien magistrat antiterroriste. La cellule était basée à Francfort, mais était en relation avec la mosquée de la rue Jenner, où les membres du réseau se mêlaient aux fidèles.» Parmi les jihadistes tunisiens passés par Milan : Moez al-Fezzani, alias «Abu Nassim». Déjà actif en Italie entre 1997 et 2001, il était arrivé à Milan en 2009 après des années à Guantánamo. Expulsé en 2012, il est devenu un des responsables de l’EI en Libye avant son arrestation en novembre 2016 au Soudan.

Anis Amri est-il entré en Italie pour réactiver d’anciens contacts ? «Apparemment, il n’avait pas de réseau de protection : son portable ne semble pas signaler des contacts particuliers, indique Dambruoso. Vraisemblablement, il est revenu en Italie dans l’espoir de retrouver des personnes qu’il avait connues lors de son séjour en prison [entre 2011 et 2015] ou lors de son passage dans le nord avant son départ pour l’Allemagne.» «Le parcours final d’Amri laisse plutôt supposer qu’il n’avait pas de réseau, qu’il ne savait pas où aller», explique le sociologue Stefano Allievi. Coauteur d’un rapport gouvernemental sur le jihadisme en Italie, il relativise les risques d’attentats dans la péninsule. En raison du nombre limité d’immigrés de la deuxième ou troisième génération, de la bonne collaboration entre les forces de l’ordre, les associations islamiques et les mosquées, ou encore «l’absence de ressentiment» postcolonial. «Il n’y a pas de Molenbeek en Italie, ajoute Allievi. La plupart des musulmans sont dans des petites ou des moyennes communes. L’intégration fonctionne plutôt bien, les gens se connaissent. Et le pays a connu par le passé le terrorisme politique. La police en a gardé une expérience, ce qui permet une meilleure connaissance du terrain.»

«Apostats».Reste que l’islamologue Gilles Kepel prévenait dans La Stampa : «Le pays n’est pas à l’abri du terrorisme comme il l’a cru jusqu’à présent […]. L’Italie comme l’Allemagne ne sont pas habitués aux attentats, mais c’est justement pour cela qu’aujourd’hui, ils représentent le ventre mou de l’Europe, des pays […] que les terroristes considèrent comme des terres d’apostats où déclencher la guerre civile.»